Les jeux coopératifs par Pascal Deru

Les jeux coopératifs par Pascal Deru

Les jeux de société se terminent généralement par la victoire d’un joueur. Les autres sont aussitôt déclarés perdants et minimisent éventuellement cet échec en se situant sur une échelle : deuxième, troisième, quatrième… Pour certains, c’est une manière de ne se déclarer ni perdant, ni dernier. Car, pour de nombreux enfants, perdre est une expérience douloureuse. Il existe pourtant des jeux qui fonctionnent sur un tout autre registre : ce sont les jeux coopératifs. Les joueurs y font l’expérience de gagner ou de perdre tous ensemble. Cette solidarité dans la victoire ou l’échec change réellement la perception du jeu.

Pour mieux en parler, il me semble important de resituer ces jeux dans un contexte plus global. Les jeux coopératifs n’ont de sens, en effet, que dans le cadre de jeux conviviaux. Un jeu convivial, c’est un jeu qui est joué pour avoir du plaisir ensemble. Cette recherche de plaisir communautaire prime sur le fait de gagner ou de perdre. Nous jouons pour nous donner du bonheur et non pour nous écraser les uns les autres. Ce n’est pourtant pas une perspective gagnée d’avance, spécialement dans une société de type concurrentielle où tout pousse les enfants et les adultes à s’affirmer comme des battants. Pour faire une comparaison et nous relier à d’autres domaines de plaisir, nous pourrions parler des repas pris en commun ou des voyages que nous faisons avec d’autres. Dans l’histoire de ses repas, le petit enfant passe progressivement de son exigence d’être alimenté au plaisir d’être ensemble autour d’une table. Si le
repas en lui-même nourrit réellement, la rencontre qu’il provoque est tout aussi nourrissante : quand elle se passe bien, elle est source de partage, de rires et de rassemblement qui sont, par leur convivialité, des nourritures à part entière. Normalement, à table, personne ne mange ni ne boit pour battre les autres en quantité. De même, dans un voyage, même si certains en veulent davantage, les compagnons de route ne se mesurent pas au nombre de visites ou de souvenirs collectés : c’est la traversée d’une expérience commune qui construit leur bonheur de voyager et les souvenirs heureux qu’ils en garderont.

Les jeux que nous jouons, pourraient se situer sur le même registre… mais le système sur lequel ils fonctionnent – créer des gagnants – les menacent sans cesse d’un retournement qui casse la convivialité : le plaisir n’est plus mesuré au plaisir de passer une heure ensemble… mais bien à la sanction finale du jeu : gagner ! En prenant du recul, nous devrions constater le ridicule d’une telle situation. Nous anéantissons les richesses et le bonheur d’une rencontre en la réduisant à son dénouement : la victoire des uns et l’échec des autres. Dans un tel cas, nous sortons la compétition de son rôle en lui permettant de faire la loi. Elle aurait dû se cantonner à n’être qu’un outil pour créer des situations rebondissantes : provoquer des échanges, de la négociation, de l’imagination, des stratégies… et voici qu’elle s’engage dans une impasse qui fonde toute la valeur du jeu sur son ultime moment. C’est un basculement qui a souvent lieu quand on joue dans notre société. Il pervertit très vite le sens du jeu… et, dans un tel cas, il est bon d’accentuer la part des jeux qui remettent l’accent sur l’essentiel : jouons-nous pour prendre du bon temps ensemble ?

Les jeux coopératifs ne sont pas les seuls qui nous rappellent ce bon sens. D’autres jeux, basés sur l’écoute, la confiance, l’affirmation de soi, le regard positif et le rêve, apportent aux enfants et aux adultes une saveur qui leur fait découvrir que de nombreuses activités humaines – dont celle du jeu – existent pour se donner du plaisir et non du malheur. Il faut donc relativiser la place des jeux coopératifs même s’ils me semblent essentiels pour ajuster les
pendules et les remettre à l’heure de la convivialité. Il s’inscrivent dans une perspective plus large et ne sont féconds que s’ils sont reliés et renforcés par d’autres activités qui les confortent.

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Le principe fondamental d’un jeu coopératif est d’unir des joueurs pour réussir un défi. S’ils mettent leurs ressources en commun et s’entraident, leurs chances de réussite grandissent. Intellectuellement, c’est un principe que les gens comprennent facilement. Ils disent bien percevoir l’idée… mais dès qu’on leur demande une application pratique, ils éprouvent une certaine difficulté à la concrétiser. Un bon nombre de jeux et la plupart des jeux de société sont basés sur la compétition. Jusque là…rien à dire ! Le problème n’est, en effet, pas la compétition… mais cet autre principe qui lui colle aux mollets et que nous mettons en évidence dans l’exercice suivant. Lors des formations que j’anime, je demande régulièrement aux participants d’analyser ce jeu très connu qu’est la chaise musicale. Nous relevons donc que son bon fonctionnement repose sur l’élimination progressive de tous les joueurs jusqu’au moment où il n’en reste plus qu’un seul qu’on déclare gagnant !

Un tel jeu procure beaucoup de plaisir et nous devons donc constater que notre plaisir se fonde parfois sur la spirale de l’élimination. La question n’est pas de condamner une telle pratique mais bien de se demander s’il est possible de
transformer une chaise musicale en la basant sur le principe inverse de l’élimination, tout en gardant le plaisir. Le principe inverse de l’élimination est l’intégration. Est-il donc possible de concevoir notre jeu sur cette force centrifuge, tout en vérifiant que le plaisir reste entier ? Faites donc l’exercice et vous constaterez que bien des idées proposées enlèvent précisément le plaisir de jouer. L’idée généralement émise est : donnons un rôle à ceux qui sont éliminés (ils pourraient s’occuper de la musique, ils pourraient servir de chaises, ils pourraient remplacer les prochains perdants, etc…). Force est pourtant de constater que ce sont de bien maigres consolations et que les joueurs exclus sont bien, d’une manière ou d’une autre, mis hors jeu. Si l’intégration est assurément la valeur recherchée, il ne faut en aucun cas éliminer un joueur. Comme dans le jeu de base, à chaque round, l’animateur enlèvera bien une chaise mais corrigera la règle de la manière suivante : quand la musique s’arrête, tous les joueurs doivent être assis sur les chaises disponibles, quitte à être à plusieurs sur un même siège. En pratiquant le jeu, vous découvrirez que ce type de défi procure un plaisir bien supérieur à celui d’une chaise musicale classique. Au moins sont nombreuses les chaises, au plus le groupe doit se serrer et faire preuve d’imagination pour placer tous les joueurs sur les sièges disponibles (1). Ainsi, quand il n’en reste plus qu’un ou deux, les prouesses de la coopération deviennent étonnantes, stimulant par là-même l’imagination, l’écoute, l’affirmation et la confiance de chaque joueur.

Parmi les jeux coopératifs, certains sont physiques et d’autres, des jeux de plateaux. Les premiers sont développés dans les nombreuses formations sur la non-violence. Ils travaillent en profondeur sur notre fonctionnement en groupe et demandent d’être bien gérés par le formateur car, pour quelques personnes, ils peuvent toucher à des blessures profondes. Cependant, en règle générale, ils sont bien au contraire source d’une grande joie car ils lient les joueurs par une vérité qui fait tomber les masques et un bonheur communautaire dont les ondes sont profondes. Plus faciles, et plus facilement présents sur le terrain familial, sont les jeux de plateaux comme le Verger dont nous avons parlé. Il en existe une quinzaine et leur origine se trouve dans l’intuition d’une firme allemande, les Editions Herder, qui pensa à juste titre que des jeux basés sur la coopération seraient une manière efficace de faire passer des valeurs sans moraliser. Certains jeux furent des merveilles – Le Chat Magicien, l’île aventureuse…- mais cette branche de la firme Herder, malgré un succès évident dans tous les milieux soucieux de pédagogie, ne rencontra pas assez de succès auprès du grand public pour assurer sa survie financière. La collection s’arrêta donc vers 1990. L’idée était cependant semée et différents éditeurs prirent le relais : Haba, avec les jeux dont nous parlerons plus loin, et quelques initiatives isolées qui ont toujours bon vent. Dans un jeu comme Le Verger, nous voyons apparaître trois caractéristiques propres à tous les jeux coopératifs : · La présence d’un défi ou d’un danger extérieur. Dans la chaise musicale coopérative, c’est le manque de plus en plus grand de sièges disponibles. Dans le verger, c’est l’oiseau. Dans Jardinage, c’est le groupe des prédateurs et le soleil. Dans T’Chang, c’est l’obscurité et les animaux dangereux…

· Une ou plusieurs possibilités d’entraide (sauf dans le niveau le plus simple). Dans certains jeux, elle est réduite au fait de pouvoir faire un cadeau ; dans d’autres, elle permet des choix stratégiques.
· Une dynamique claire et caractéristique : on gagne ou on perd tous ensemble.

A partir d’un tel canevas, les jeux se situent sur une échelle de complexité qui est fonction des mécanismes mis en œuvre. Il existe naturellement une relation entre ces différents mécanismes et les âges auxquels s’adressent les différents jeux.

Je diviserais les jeux coopératifs que je connais en cinq niveaux :

Des jeux dont toutes les pièces sont communes

C’est le niveau le plus simple. Jouer, c’est obéir au dé sans pouvoir résister. Sur ce dé, les bonnes faces défendent le sort des joueurs et les mauvaises contrarient leur fortune. Le hasard a la part belle mais les enfants font l’expérience d’appartenir à un même groupe que menace un ennemi. Ainsi dans Félix Flotte (Ed. Haba), les enfants tentent de placer des petits poissons au centre du plateau. Une face du dé fait cependant apparaître un gros poisson qui décime ces petits poissons et casse le plan des joueurs. Ce glouton s’appelle Félix et progresse de case en case en obéissant aux actions indiquées par le graphisme : manger un poisson de telle couleur, digérer, recracher ce qu’il a dans la bouche. Si les enfants sont parvenus à poser tous les petits poissons au centre du plateau, ils gagnent le jeu tous ensemble. Au contraire, si Félix a capturé quatre petits poissons, c’est lui qui gagne et les enfants perdent le jeu tous ensemble.

Même dans des jeux aussi simples, les enfants font une double expérience : d’une part, celle de contribuer à des actions communes (ils ne rivalisent pas entre eux) et, d’autre part, de se réjouir ensemble de la victoire ou, au contraire, d’assumer communautairement l’échec. Très vite, on découvre ainsi une des premières qualités des jeux coopératifs : perdre tous ensemble est beaucoup moins dur que de perdre tout seul.

Des jeux où les joueurs ont une possibilité réelle de s’entraider

C’est le cas dans le Verger puisque chaque enfant peut offrir le résultat de son dé à un autre enfant. Ce ne sont pourtant pas toujours les points d’un dé qu’on offre. C’est parfois la mise en commun de ressources naturelles qu’on possède : sa mémoire pour indiquer l’emplacement d’une carte (Dans la Forêt des Contes, Ed. Adlung) ; ou encore un avis qui pourrait faire changer la tactique d’un partenaire (T’Chang, Ed. Casse-Noisettes et L’arbre en danger, Ed. Zoch).

On découvre très rapidement la puissance d’une mémoire collective. On découvre surtout que les ressources mises en commun constituent un capital qui dépasse la stricte addition des biens partagés. C’est une découverte fondamentale qu’on fait un jour où l’autre dans les jeux coopératifs : il y a plus de fécondité à agir ensemble que séparément. Certains jeux accentuent ce mécanisme en doublant le gain pour ceux qui s’entraident. Ainsi, dans l’île aventureuse (jeu épuisé des Ed. Herder), des joueurs qui parviennent à se rejoindre sur un des quatre chemins, avancent deux fois plus vite car l’un profite du dé de l’autre et vice versa. Dans ce groupe de jeux, citons encore La Ronde du Fermier (Haba), Huhuuh ! (Haba), Le bal masqué des coccinelles (Ed. Selecta), La ville des nains (Ed. Kosmos). Les deux meilleurs sont le Verger (à partir de 3 ans) et le Bal masqué des Coccinelles (à partir de 5 ans).

Des jeux où il faut coordonner des mouvements de pions pour gagner

Selon le cas, les pions sont communautaires ou individuels. Deux jeux sortent du lot. L’un, c’est Jardinage, à partir de 4 1⁄2 ans (Ed. Haba). Les enfants préparent le compost en attrapant des vers de terre pour l’aérer. Mais voilà : il faut parvenir à réunir deux jardiniers sur une même case du circuit pour capturer un ver de terre. Chaque déplacement est ainsi l’occasion d’une courte réflexion pour observer la manœuvre la plus rentable ou, à défaut, la moins dangereuse car de petits prédateurs cherchent à capturer les lombrics. L’autre, c’est Tifou (également appelé Un tigre s’est échappé), à partir de 5 ans (Ed. Amigo). Les enfants tentent d’amener leurs pions individuels devant les portes de la grande cage car celles-ci sont si lourdes qu’il faut être à deux pour les pousser. Ce sont des jeux intéressants car ils ont une dynamique qui pousse à la rencontre : celle-ci est incontournable si les joueurs veulent gagner.

Très différent, T’Chang, à lui tout seul, met en œuvre deux idées qui situent d’emblée le jeu coopératif à des niveaux d’intérêt et de difficulté supérieurs que j’exprimerais de la manière suivante :
· Je suis en détresse et j’ai besoin de vous. Si vous ne venez pas, vous perdrez aussi le jeu.
· J’ai beau être riche : ma richesse ne sert à rien si elle n’est pas partagée.

La première affirmation provient de ce que les joueurs peuvent se faire piquer, lors de leurs déplacements, par des bestioles venimeuses. Ils ne peuvent être sauvés que par les autres joueurs… mais pourquoi ceux-ci viendraient-ils à leur rescousse ? Réponse facile et motivante : si tous les joueurs ne sont pas sortis du labyrinthe dans lequel ils évoluent, le jeu est perdu par tous !

La seconde suit la même logique. Il arrive fréquemment que des joueurs tombent à court de lucioles, autrement dit à court d’énergie. Or celui qui ne possède plus de luciole (une luciole permet d’avancer d’une case), ne peut plus se déplacer. Les autres doivent donc veiller au ravitaillement des plus faibles et prendre conscience que s’ils sortent prématurément du labyrinthe, les vers luisants qu’ils emportent dans leurs poches, ne pourront plus servir ni être partagés.

T’Chang est un jeu qui s’adresse au 7-11 ans. On l’emploiera cependant avec succès dans le cadre de formations pour adultes car la première partie qu’on en joue est de toute manière une interrogation pertinente sur notre manière de coopérer. Dans les jeux coopératifs pour adolescents et adultes, d’autres accents interviennent et entraînent les joueurs dans des situations où la coopération doit être encore mieux gérée s’ils veulent gagner la partie.

Dans L’arbre en danger (Ed. Zoch), l’idée neuve et bien plus exigeante est : s’il faut faire profiter le groupe de sa force, cette force ne peut être exercée n’importe comment ; employée sans discernement, elle risque de bloquer l’efficacité des autres joueurs. Cela veut dire concrètement qu’un joueur ne peut investir toute la puissance de son attaque contre la pluie acide sans songer aux dégâts qu’elle peut provoquer chez ses propres partenaires.

Le Seigneur des Anneaux (Edition Hasbro ou Kosmos) est un jeu coopératif d’un tout autre genre. Ceux qui y jouent ne réussissent à vaincre les forces du Mal que s’ils prévoient l’avenir en évaluant les ressources présentes mais aussi et surtout celles qu’ils doivent acquérir avec urgence. La règle est complexe et riche en possibilités : on réservera dès lors ce dernier jeu à des joueurs habitués à décrypter des règles de haut niveau.

De nombreux jeux de coopération sont malheureusement en fin d’édition : Jardinage, Un Tigre s’est échappé, T’Chang et l’Arbre en danger. Ce n’est pas leur qualité qui est en cause mais leur rentabilité pour les éditeurs qui ne prennent pas le risque de se lancer dans une nouvelle édition. En cherchant bien, vous en trouverez cependant encore quelques exemplaires…

Bien d’autres jeux coopératifs ont été produits ces 10 dernières années… mais on pourrait souvent leur reprocher d’être ennuyeux car ils ont été fondés pour défendre un thème et non du plaisir. Les jeux coopératifs sont mis à toutes les sauces : de l’intérêt de se laver les mains à une alimentation saine, de la sécurité routière aux mécanismes d’exclusion. En voulant défendre de telles idées, les auteurs de jeux s’enfoncent souvent dans des créations d’autant moins ludiques qu’elles sont lourdes en message. Le verdict des enfants tombe généralement vite : ils rentrent au placard ces jeux issus des meilleures intentions du monde et reviennent à leurs premiers amours dont les thèmes sont plus captivants.

Quelque chose d’important est ainsi dit : les jeux coopératifs se doivent de proposer des thèmes attirants. Ce ne sont pas les thèmes qui changent les enfants… mais les mécanismes qui sont mis en œuvre quand on les joue. Si un enfant découvre dans des jeux du plaisir à défendre des intérêts communautaires, il risque bien, plus tard, de défendre l’intérêt de tous. Pour un adulte, cela veut dire à titre d’exemples : réduire ses poubelles, s’ouvrir à la richesse d’autres cultures, mieux gérer sa cité, encourager le commerce made in equity …

Actuellement les enfants sont imbibés de ce que sèment en eux les jeux compétitifs : être le plus fort, être le premier, être le meilleur. Jeu après jeu, par tous ceux qui fonctionnent sur le modèle de Monopoly, ils ingèrent une manière de voir la vie : le plaisir se crée en excluant, en écrasant et en prenant, dès que possible, les meilleures places. A cette école, peuvent-ils donc devenir d’autres citoyens que des battants qui font d’abord passer leurs intérêts personnels ?

Croire qu’il est nécessaire de se battre pour subsister, c’est placer nombres de « relations humaines sur le mode de pouvoir, avec ses jeux de domination, soumission, compétition, manipulation, séduction, rejet. » Thomas d’ansembourg dans préface à jeux coop pour bâtir la paix.Au contraire, en proposant de nombreux jeux fonctionnant sur des structures solidaires, nous forgeons dans ces mêmes enfants des réflexes coopératifs qui leur permettront de regarder plus tard les problèmes de société sous un autre angle. Je le répète : ce ne sont pas les thèmes des jeux qui importent… mais leurs structures et les manières dont ils sollicitent et entraînent l’intelligence et l’imagination des joueurs. Si
pour vaincre des pirates, des bactéries, des dragons ou toute autre menace, ces joueurs découvrent que c’est en mettant leurs ressources en commun qu’ils sont gagnants, cette expérience-là finira par laisser une trace féconde dans leur manière de résoudre les vrais défis de la vie.

Il n’est pas grave que les thèmes soient racoleurs si ces thèmes mènent les joueurs autour de tables qui leur permettront de se battre avec plaisir pour des intérêts communautaires. Entre un jeu avec des pirates et un autre sur l’hygiène dentaire, tout enfant normal a vite choisi. Donnons-leur donc ce qui les séduit, en évitant les thèmes racistes et intolérants, pourvu que pour ces paillettes, ils acceptent de s’allier et de faire l’expérience de règles qui les unissent et les rendent solidaires. De toute manière, les jeux coopératifs ne sont qu’une goutte d’eau sur la roue du moulin de la solidarité. Ils n’ont de sens que s’ils sont renforcés par d’autres occasions de coopérer et qu’ils s’inscrivent dans un cadre plus large. Il ne sert à rien de jouer à des jeux coopératifs si, dans nos vies quotidiennes, nous ne résonnons pas des mêmes exigences : choisir et décider en commun, partager les rôles sans s’opposer mais pour se compléter, croire qu’il y a plus à gagner en mettant en commun qu’en s’opposant.

Comment décidons-nous en famille d’une destination de vacances ou des activités du prochain week-end ?
Comment partageons-nous les taches ménagères ? Sommes-nous intimement persuadés que certaines actions rapportent plus d’être accomplies ensemble que de manière séparée ?

Une des grandes découvertes qu’on fait dans les jeux coopératifs est aussi celle-ci : dans un jeu compétitif, toutes les qualités de mon adversaire représentent des menaces. S’il est plus rapide, il me battra de vitesse. S’il est plus rusé, il me tendra des pièges… Au contraire, dans un jeu coopératif, toutes les qualités de l’autre sont un cadeau pour le groupe et, plutôt que de m’en méfier et de tenter de les réduire, je me réjouis de leur existence, je les désire et je m’en enrichis. Le jeu coopératif permet également d’autres fonctionnements : l’entraide circule dans tous les sens. Le plus grand aide le plus petit mais certaines situations font que c’est parfois le plus petit qui aide le plus grand. Car chacun, selon l’apport demandé, est parfois le plus grand et parfois le plus petit. On quitte le règne de la menace pour entrer dans celui de la rencontre et, quand la menace recule, des fragilités peuvent être découvertes et secourues.

Les jeux coopératifs mettent en œuvre une telle qualité de vécu qu’il est parfois intéressant de les relever par une parole. Quand une partie finit, comme parent ou comme animateur, sachons ” nous retourner ” sur cette partie et dire que c’était vraiment bon de jouer tous ensemble. Marquons même cette parole d’un symbole (des biscuits, une boisson…) pour poser du poids sur ce qui nous importe : que nous ayons gagné ou perdu, l’important est ce bon temps que nous avons pris ensemble et durant lequel chacun a mis en commun ses talents, son imagination et ses ressources. Bien plus, si nous en sommes capables, redisons pour chaque joueur des gestes, des actions ou des paroles positives qui nous ont frappés : cela m’a fait du bien quand tu es venu me délivrer ! Toi, tu as eu une superbe idée qui nous a permis de continuer le jeu quand nous pensions avoir perdu ! Heureusement que tu avais encore des réserves et que tu as réussi à les partager !

Nous reconnaissons en cela que la victoire commune est le fruit de toute une série d’initiatives qui ont été des cadeaux pour la vie du groupe. De telles paroles sont fécondes. Elles font exister une seconde fois ce qui a été vécu. Elles sont des marques de reconnaissance et laissent dans les joueurs une trace entendue et consciente d’actes importants qui ont été posés et qui ont bâti du bonheur. Or on se souvient souvent du bonheur.

(1) Le jeu est encore plus palpitant si la consigne est qu’aucun pied ne peut toucher le sol. Attention, c’est un jeu à réserver à des adultes ou des adolescents si on l’applique tel quel. Joué avec de jeunes enfants, on privilégiera au maximum la sécurité en utilisant, par exemple, des feuilles de journal à la place des chaises.

Pascal Deru
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