Parmi les jeux coopératifs, certains sont physiques et d’autres, des jeux de plateaux. Les premiers sont développés dans les nombreuses formations sur la non-violence. Ils travaillent en profondeur sur notre fonctionnement en groupe et demandent d’être bien gérés par le formateur car, pour quelques personnes, ils peuvent toucher à des blessures profondes. Cependant, en règle générale, ils sont bien au contraire source d’une grande joie car ils lient les joueurs par une vérité qui fait tomber les masques et un bonheur communautaire dont les ondes sont profondes. Plus faciles, et plus facilement présents sur le terrain familial, sont les jeux de plateaux comme le Verger dont nous avons parlé. Il en existe une quinzaine et leur origine se trouve dans l’intuition d’une firme allemande, les Editions Herder, qui pensa à juste titre que des jeux basés sur la coopération seraient une manière efficace de faire passer des valeurs sans moraliser. Certains jeux furent des merveilles – Le Chat Magicien, l’île aventureuse…- mais cette branche de la firme Herder, malgré un succès évident dans tous les milieux soucieux de pédagogie, ne rencontra pas assez de succès auprès du grand public pour assurer sa survie financière. La collection s’arrêta donc vers 1990. L’idée était cependant semée et différents éditeurs prirent le relais : Haba, avec les jeux dont nous parlerons plus loin, et quelques initiatives isolées qui ont toujours bon vent. Dans un jeu comme Le Verger, nous voyons apparaître trois caractéristiques propres à tous les jeux coopératifs : · La présence d’un défi ou d’un danger extérieur. Dans la chaise musicale coopérative, c’est le manque de plus en plus grand de sièges disponibles. Dans le verger, c’est l’oiseau. Dans Jardinage, c’est le groupe des prédateurs et le soleil. Dans T’Chang, c’est l’obscurité et les animaux dangereux…
· Une ou plusieurs possibilités d’entraide (sauf dans le niveau le plus simple). Dans certains jeux, elle est réduite au fait de pouvoir faire un cadeau ; dans d’autres, elle permet des choix stratégiques.
· Une dynamique claire et caractéristique : on gagne ou on perd tous ensemble.
A partir d’un tel canevas, les jeux se situent sur une échelle de complexité qui est fonction des mécanismes mis en œuvre. Il existe naturellement une relation entre ces différents mécanismes et les âges auxquels s’adressent les différents jeux.
Je diviserais les jeux coopératifs que je connais en cinq niveaux :
Des jeux dont toutes les pièces sont communes
C’est le niveau le plus simple. Jouer, c’est obéir au dé sans pouvoir résister. Sur ce dé, les bonnes faces défendent le sort des joueurs et les mauvaises contrarient leur fortune. Le hasard a la part belle mais les enfants font l’expérience d’appartenir à un même groupe que menace un ennemi. Ainsi dans Félix Flotte (Ed. Haba), les enfants tentent de placer des petits poissons au centre du plateau. Une face du dé fait cependant apparaître un gros poisson qui décime ces petits poissons et casse le plan des joueurs. Ce glouton s’appelle Félix et progresse de case en case en obéissant aux actions indiquées par le graphisme : manger un poisson de telle couleur, digérer, recracher ce qu’il a dans la bouche. Si les enfants sont parvenus à poser tous les petits poissons au centre du plateau, ils gagnent le jeu tous ensemble. Au contraire, si Félix a capturé quatre petits poissons, c’est lui qui gagne et les enfants perdent le jeu tous ensemble.
Même dans des jeux aussi simples, les enfants font une double expérience : d’une part, celle de contribuer à des actions communes (ils ne rivalisent pas entre eux) et, d’autre part, de se réjouir ensemble de la victoire ou, au contraire, d’assumer communautairement l’échec. Très vite, on découvre ainsi une des premières qualités des jeux coopératifs : perdre tous ensemble est beaucoup moins dur que de perdre tout seul.
Des jeux où les joueurs ont une possibilité réelle de s’entraider
C’est le cas dans le Verger puisque chaque enfant peut offrir le résultat de son dé à un autre enfant. Ce ne sont pourtant pas toujours les points d’un dé qu’on offre. C’est parfois la mise en commun de ressources naturelles qu’on possède : sa mémoire pour indiquer l’emplacement d’une carte (Dans la Forêt des Contes, Ed. Adlung) ; ou encore un avis qui pourrait faire changer la tactique d’un partenaire (T’Chang, Ed. Casse-Noisettes et L’arbre en danger, Ed. Zoch).
On découvre très rapidement la puissance d’une mémoire collective. On découvre surtout que les ressources mises en commun constituent un capital qui dépasse la stricte addition des biens partagés. C’est une découverte fondamentale qu’on fait un jour où l’autre dans les jeux coopératifs : il y a plus de fécondité à agir ensemble que séparément. Certains jeux accentuent ce mécanisme en doublant le gain pour ceux qui s’entraident. Ainsi, dans l’île aventureuse (jeu épuisé des Ed. Herder), des joueurs qui parviennent à se rejoindre sur un des quatre chemins, avancent deux fois plus vite car l’un profite du dé de l’autre et vice versa. Dans ce groupe de jeux, citons encore La Ronde du Fermier (Haba), Huhuuh ! (Haba), Le bal masqué des coccinelles (Ed. Selecta), La ville des nains (Ed. Kosmos). Les deux meilleurs sont le Verger (à partir de 3 ans) et le Bal masqué des Coccinelles (à partir de 5 ans).
Des jeux où il faut coordonner des mouvements de pions pour gagner
Selon le cas, les pions sont communautaires ou individuels. Deux jeux sortent du lot. L’un, c’est Jardinage, à partir de 4 1⁄2 ans (Ed. Haba). Les enfants préparent le compost en attrapant des vers de terre pour l’aérer. Mais voilà : il faut parvenir à réunir deux jardiniers sur une même case du circuit pour capturer un ver de terre. Chaque déplacement est ainsi l’occasion d’une courte réflexion pour observer la manœuvre la plus rentable ou, à défaut, la moins dangereuse car de petits prédateurs cherchent à capturer les lombrics. L’autre, c’est Tifou (également appelé Un tigre s’est échappé), à partir de 5 ans (Ed. Amigo). Les enfants tentent d’amener leurs pions individuels devant les portes de la grande cage car celles-ci sont si lourdes qu’il faut être à deux pour les pousser. Ce sont des jeux intéressants car ils ont une dynamique qui pousse à la rencontre : celle-ci est incontournable si les joueurs veulent gagner.
Très différent, T’Chang, à lui tout seul, met en œuvre deux idées qui situent d’emblée le jeu coopératif à des niveaux d’intérêt et de difficulté supérieurs que j’exprimerais de la manière suivante :
· Je suis en détresse et j’ai besoin de vous. Si vous ne venez pas, vous perdrez aussi le jeu.
· J’ai beau être riche : ma richesse ne sert à rien si elle n’est pas partagée.
La première affirmation provient de ce que les joueurs peuvent se faire piquer, lors de leurs déplacements, par des bestioles venimeuses. Ils ne peuvent être sauvés que par les autres joueurs… mais pourquoi ceux-ci viendraient-ils à leur rescousse ? Réponse facile et motivante : si tous les joueurs ne sont pas sortis du labyrinthe dans lequel ils évoluent, le jeu est perdu par tous !
La seconde suit la même logique. Il arrive fréquemment que des joueurs tombent à court de lucioles, autrement dit à court d’énergie. Or celui qui ne possède plus de luciole (une luciole permet d’avancer d’une case), ne peut plus se déplacer. Les autres doivent donc veiller au ravitaillement des plus faibles et prendre conscience que s’ils sortent prématurément du labyrinthe, les vers luisants qu’ils emportent dans leurs poches, ne pourront plus servir ni être partagés.
T’Chang est un jeu qui s’adresse au 7-11 ans. On l’emploiera cependant avec succès dans le cadre de formations pour adultes car la première partie qu’on en joue est de toute manière une interrogation pertinente sur notre manière de coopérer. Dans les jeux coopératifs pour adolescents et adultes, d’autres accents interviennent et entraînent les joueurs dans des situations où la coopération doit être encore mieux gérée s’ils veulent gagner la partie.
Dans L’arbre en danger (Ed. Zoch), l’idée neuve et bien plus exigeante est : s’il faut faire profiter le groupe de sa force, cette force ne peut être exercée n’importe comment ; employée sans discernement, elle risque de bloquer l’efficacité des autres joueurs. Cela veut dire concrètement qu’un joueur ne peut investir toute la puissance de son attaque contre la pluie acide sans songer aux dégâts qu’elle peut provoquer chez ses propres partenaires.
Le Seigneur des Anneaux (Edition Hasbro ou Kosmos) est un jeu coopératif d’un tout autre genre. Ceux qui y jouent ne réussissent à vaincre les forces du Mal que s’ils prévoient l’avenir en évaluant les ressources présentes mais aussi et surtout celles qu’ils doivent acquérir avec urgence. La règle est complexe et riche en possibilités : on réservera dès lors ce dernier jeu à des joueurs habitués à décrypter des règles de haut niveau.
De nombreux jeux de coopération sont malheureusement en fin d’édition : Jardinage, Un Tigre s’est échappé, T’Chang et l’Arbre en danger. Ce n’est pas leur qualité qui est en cause mais leur rentabilité pour les éditeurs qui ne prennent pas le risque de se lancer dans une nouvelle édition. En cherchant bien, vous en trouverez cependant encore quelques exemplaires…